Les sceptres du quartz et de quelques autres minéraux

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LES SCEPTRES DU QUARTZ et de quelques autres minéraux

Les sceptres sont des groupements holoaxes*, constitués par un cristal prismatique biterminé, le "capuchon", "coiffe" ou "tête", recouvrant partiellement un cristal antérieur, généralement prismatique, de diamètre moindre, le "manchon" ou "pied". Les deux individus représentent deux générations successives et peuvent être de colorations différentes. La mise en place de tels groupements cristallins semble liée à certaines conditions de température-pression de la solution cristalline ; ces conditions, comme les gîtes d'origine, sont très divers : Pegmatites, Filons Métallifères, Fentes Alpines, Assises sédimentaires... Parmi les minéraux présentant des sceptres : la Tourmaline, la Barytine, le Cuivre natif, le Béryl, la Calcite, le Quartz... L'appellation provient, bien sûr, de l'image la plus caractéristique, cette merveille de la minéralogie qu'est un sceptre parfait. Un attribut royal au royaume des minéraux ! Le grand avantage des sceptres est d'ensevelir des inclusions et de présenter souvent une variation chromatique (le pied et la tête ne sont pas de la même couleur). Enfin l'habitus de la tête peut différer de celui du pied.

Confortés par une image idéalisée du sceptre, gardons nous d'oublier les conditions difficiles de leur formation : les coiffes fenêtrées sont là pour nous les rappeler. Dans le même ordre d'idée, nous associerons aux sceptres : les lamelles et pavés affectants les faces des " pyramides sommitales " et / ou les faces des prismes, tout en conservant les mêmes axes. Les lamelles et pavés, fréquents sur les cristaux et sceptres d'améthyste, se retrouvent sur les quartz de certains septaria (Orpierre) et sur certaines barytines sceptres (Limagne). Ceci nous évoque certaines associations à croissance parallélisée* et autres groupes à croissance orientée.

Terminologie

Selon la partie du cristal hôte (le manchon), affectée par le cristal épyphite (le capuchon) on distinguera :

-- Sceptre vrai : cristallisation déposée à partir de la pyramide terminale et la débordant (capuchon).

Amethyste-1.jpg

Quartz améthyste sceptre
Hauteur 6.9 cm
Pointe des Amethystes, Glacier du Tour, Argentiere, Chamonix, Haute-Savoie
Coll. Eric Asselborn
Photo : Jeffrey Scovil ©


-- Bouteille : cristallisation restreinte déposée sur la pyramide sommitale.

-- Sceptre bicéphale : le cristal hôte est biterminé ; ses deux extrémités sont affectées par la deuxième génération.

-- Sceptre ceinture : la surcristallisation affecte la partie médiane du prisme hôte.

-- Anti-sceptres : un sceptre " tête en bas", la deuxième génération s'établit sur la base du cristal primaire.

-- Sceptre multiple : les dépôts de deuxième génération se sont multipliés sur le cristal hôte.

-- Sceptre multiple emboîté : un premier capuchon est recouvert par un ou plusieurs autres.

-- Pseudo-sceptre : tout cristal qui extérieurement à la forme d'un sceptre, mais dont on peut déterminer qu'il ne possède pas les caractéristiques d'un sceptre tel que défini ci-dessus (par exemple : absence de deuxième génération, ou : orientation et axes différents).

Quelques critères peuvent aider à définir les sceptres vrais :

-- Présence d'un "fantôme de croissance" entre le pied et la tête ;

-- Dimensions, emplacements, orientations des vacuoles ;

-- Différence de teintes, de coloration ;

-- Présence et forme des inclusions ;

-- Habitus, faciès, voire structure interne, différents.

Les sceptres et le quartz ; les autres minéraux.

Les localités les plus nombreuses, les spécimens les plus répandus, les plus facilement lisibles, sont ceux du quartz ; toutefois les sceptres de quartz ne représentent pour le cristallographe que des cristaux assez frustres. Ils ne montrent, en général, que les faces r, x, m, agrémentées il est vrai, dans de rares gisements, des faces π, Ω, c. Il s'agit d'une cristallisation rapide, souvent bâclée.

La mimétite peut former des sceptres bicéphales en forme d'haltères ; l'anglésite des sceptres bicéphales très élégants.

Les structures dites " cone-in-cone " comme en présente la calcite, sont assimilables aux groupements holoaxes ; c'est aussi le cas des macles squelettiques du cuivre natif, où chaque pyramide sceptre celle qui la précède, et est sceptrée par celle qui la suit. (D'autres " natifs " du système cubique, comme l'or et l'argent, présentent des groupements proches de ceux du cuivre). C'est encore le cas de la cuprite lorsque des empilements parallèles d'individus forment des assemblages en forme de sapin. Assez indifféremment ces assemblages sont dits : denditriques, squelettiques ou réticulés. Les sceptres de la calcite, autres que les structures " cone-in-cone " déjà évoquées ne présentent généralement pas les formes de sceptres classiques rencontrées chez le quartz. Tout au contraire, on y voit généralement des changements d'habitus, c'est, par exemple, le cas d'une découverte effectuée fin 1997 - début 1998 : des cristaux scalénoédriques rougeâtres, mats, d'une dizaine de centimètres, sceptrés par un scalénoèdre jaune miel, dans une carrière proche d'Ancenis, Loire-Atlantique.

Des sceptres ! Des sceptres ? Presque des sceptres ? Tout se complique avec la barytine. Des assemblages à l'apparence de sceptres, peuvent être des entrecroisements de cristaux : si certains axes cristallins des deux composants sont bien dans la même direction, il s'agit en fait de deux axes différents (a prolongeant c ou b, par exemple). J'avais figuré en 1991, un sceptre de barytine, schématisé d'après ceux que j'avais extrait à Saint Babel quelques années auparavant. Lacroix a cité à La Courtade, Saint Babel, Coudes, des groupements de cristaux de barytine " à axes parallèles ", on voit qu'il s'agit en partie de groupements holoaxes, et donc de sceptres vrais. Par contre, vers Champeix il signale des groupements ressemblant extérieurement à des sceptres, mais qui ne sont pas des groupements holoaxes, puisque les cristaux ont des orientations mutuelles différentes : certains de leurs axes sont parallèles, mais ces axes sont différents, d'autres axes se recoupent approximativement à angle droit. On retrouve les mêmes caractéristiques chez les barytines de divers autres gisements de la Limagne (sl) : le hors-série n°2 du Règne Minéral est consacré à la barytine, on peut voir pages 8, 14 et 40, des sceptres et des pseudo-sceptres de Champeix, Veneix-en-Sauvagnat, Ternant-les-Eaux, Four-la-Brouque, La Côte d'Abot ; tandis que R. Martin qui avait déjà signalé ces formations chez les barytines de certains septaria, les republie dans ce même hors-série (voir page 66). Dans la même revue, sont évoqués, page 31, les sceptres de barytine du Maine-Reclesne dont je donnais une illustration, selon un exemple tiré de ma collection, dans ma publication de 1991 ; c'est la différence de couleur sur l'attache cassée du cristal qui m'avait incité à l'étudier par transparence : un " sifflet " bleu est recouvert d'un " cercueil " brun. Il serait tentant d'étendre cette notion de sceptre aux cristaux à fantômes ; ce qui m'y fait penser, c'est justement une double photo, page 8 du Règne Minéral hors-série n°2 : on y voit deux " barites avec cristaux fantômes ", l'une vient de Veneix-en-Sauvagnat, l'autre de Ternant-les-Eaux ; à travers des cristaux limpides, on voit nettement un changement d'habitus et, semble-t-il, une variation chromatique. Un cristal de quartz déjà publié à d'autres propos, montre un fantôme de chlorite qui souligne un changement d'habitus. Dans ces deux cas on a affaire à des groupements holoaxes.

On peut évoquer aussi les variations chromatiques, correspondant à divers stades de croissance, visibles à l'intérieur de nombreux minéraux, sans qu'il y ait forcément changement d'habitus (je pense particulièrement aux fluorites et aux tourmalines, surtout). Á Lantigné, la wulfénite pyramidale tronquée par le pinacoïde {001} est surmontée par " une couche cristalline composée de nombreux subindividus (tabulaires) de forme parallélépipédique ". Une formation originale, connue aussi à Purple Passion mine, Wikenburg, Yaravaipa Co, Arizona, ne présentant pas de modification chimique et que J. E. Dietrich signale comme étant une " épitaxie*, au sens propre du terme, c'est à dire le développement orienté d'une espèce sur une autre et dans le cas qui nous intéresse les deux espèces sont les mêmes ". Soulignant qu'il n'y a sans doute pas eu d'interruption du processus de cristallisation, mais seulement modification des conditions de dépôt, alors que pour les sceptres nous avons évoqué la succession de générations, impliquant tacitement un ou des hiatus. Question : avons-nous encore affaire à des groupements holoaxes ? Je pense qu'on peut répondre " pas tout à fait, mais presque " ! En effet il y a seulement changement d'habitus et passage d'un individu unique à une pluralité d'individus, mais si l'on baptise " axe principal " l'axe c du gros cristal de base, les axes c des subindividus cristallins du sommet sont - sensiblement - parallèles à cet axe principal, ils en conservent en tout cas l'orientation générale.

Bien des sceptres ont pu passer inaperçu : il y a quelques années, je repérais, avant l'ouverture du magasin, un petit groupe de quarts sceptres de l'Utah, dans la vitrine de Michel Jouty à Chamonix. Quelques heures plus tard, la Bourse ayant ouvert ses portes, je vis que Michel avait tout un lot de ces quartz, mais manifestement celui de sa vitrine me convenait mieux! nous traiterions cela le lundi matin. À l'heure du repas je demandais à Michel s'il avait vendu de ces quartz sceptres au cours de la matinée, comme il me répondait par la négative, je lui conseillais d'apposer une étiquette indiquant clairement " quartz sceptres ", ce qu'il fit et qui lui permit de céder de nombreux spécimens dans les heures suivantes...

Août 1991 (pour l'exposition-bourse de Chamonix) Modifié et complété en vue d'une nouvelle publication, 1998.

NOTES

  • Pinacoïde : forme ouverte constituée par deux faces parallèles, se rencontre dans les cristaux où n'existe qu'un seul plan de symétrie de réflexion ou un centre de symétrie. En cristalographie les formes ouvertes ne peuvent exister à elles seules. Un cristal peut être :

-- soit un ensemble de faces identiques (constituant une forme fermée) tel le cube,

-- soit un ensemble de formes ouvertes comme un prisme, une bipyramide, un pinacoïde (constituant une forme fermée)...

  • Groupements holoaxes : du grec holos = entier ; groupement cristallin dont les subindividus (appartenant à un même minéral) partagent un axe commun (s'étagent le long de cet axe). Exemples : les sceptres, certains quartz maclés avec interpénétration complète.
  • Croissance parallélisée : ensemble de cristaux ayant chacun au moins un de leurs axes parallèle avec les axes homonymes de ses voisins (par exemple les axes c, …)
  • Épitaxie : du grec epi , au-dessus, et taxis , arrangement ; croissance orientée d'un minéral sur un autre. Exemples nombreux, le plus connu : rutile sur l'hématite.

Quelques minéraux susceptibles d'offrir des sceptres :

Anglésite,

Béryl,

Calcite,

Gypse,

Malachite (y compris, malachite pseudomorphosant l'azurite),

Mimétite,

Quartz,

Tourmalines,

Topaze…


Ces notes ont été publiés, sous une forme légèrement différente, dans le Bulletin du Club de Minéralogie de Chamonix, du Mont Blanc et des Alpes du Nord; BCMC, n°45 de novembre 1991. Puis dans les Annales de la SSNATV